samedi 11 juillet 2015

L'interview de Laurent Bettoni


Bonjour, et merci à toi de m’inviter. L’écriture est une activité solitaire, alors c’est toujours un plaisir d’échanger avec des lecteurs quand on en a l’occasion. J’adore ça !
J’ai commencé à écrire très jeune – dès que j’ai su écrire –, car j’ai voulu transmettre à d’éventuels lecteurs les émotions que je ressentais au cours de mes propres lectures. Quand je refermais un livre qui m’avait transporté, je me disais : « Ouah ! Je veux faire ça. Moi aussi je veux procurer ces sensations à d’autres, moi aussi je veux écrire. » Au début, je faisais lire mes productions à mes proches – famille et amis –, puis quand j’ai gagné en assurance et en maturité, j’ai recherché des avis plus objectifs, plus critiques. Alors j’ai sollicité mes profs, qui ont joué le jeu et qui m’ont encouragé à poursuivre. Dès que j’en ai l’occasion, je clame tout ce que je dois aux professeurs qui m’ont accompagné tout au long de mes études, à ces serviteurs de l’école de la République que la République, pourtant, traite si mal depuis si longtemps…
Je n’ai pas de genre. Je me définis vraiment comme un auteur de littérature « grise », qui mêle la noire et la blanche. Dans tous mes livres, il y a de la littérature dite générale – ou blanche – et de la littérature dite noire. La classification par genre, c’est un truc pour arranger les libraires et les éditeurs, pour pouvoir étiqueter les livres en rayonnage comme des boîtes de petits pois, mais qui peut devenir un vrai piège pour les auteurs, un véritable frein à la création. J’évite de m’embêter avec ça, et du coup je suis souvent un casse-tête pour les libraires et les éditeurs. J’en parle d’autant plus facilement que je suis moi-même éditeur, chez La Bourdonnaye, et que je dois donc me plier à cette contrainte de classer les textes de mes auteurs dans des genres précis. On nous dit que c’est pour faciliter le choix des lecteurs. Je reste sceptique devant cet argument. Je crois que les lecteurs sont assez grands pour choisir ce qu’ils veulent et qu’ils sauraient bien trouver leur bonheur même s’il n’y avait pas d’étiquettes sur les rayonnages. En chinant ainsi parmi des livres différents les uns des autres, ils élargiraient leur champ des possibles sans forcément se cantonner au polar, ou à la fantasy, ou la blanche, etc. À mon sens, il n’y a que deux genres : la fiction et la non-fiction. Moi je fais de la fiction, avec tout ce que ça comporte de psychologie, d’humain, de suspense, de drame, de comédie, parfois ensemble dans un même livre.

Au commencement, il y a, non pas le verbe, mais l’idée. L’idée à partir de laquelle naîtra le roman. Elle peut venir de n’importe où, de mon observation du monde ou des gens, de l’actualité, de souvenirs, de mes centres d’intérêt. Par exemple, pour mon dernier roman en date, Mauvais garçon, l’idée est venue d’une discussion anodine avec mon fils. Un matin, au petit déjeuner, il me demande si j’ai déjà entendu parler du Darknet. Je n’en avais jamais entendu parler. J’ai donc commencé par effectuer des recherches sur le sujet. Ça m’a captivé. Par ailleurs, j’avais le projet, depuis quelque temps, d’écrire l’histoire d’un jeune homme brillant et pourtant au chômage, et qui progressivement se fait embrigader dans un mouvement politique extrême. L’extrémisation politique de l’Europe m’inquiète, et je voulais écrie là-dessus. Avec le Darknet, j’avais la pièce manquante, l’outil d’embrigadement que les recruteurs allaient utiliser pour piéger mon héros. Il se trouve que cela correspond à une triste réalité, on recrute vraiment les jeunes via le Net, qu’il soit surfacique (légal) ou underground (le Darknet). Là j’abrège, mais je raconte tout sur mon blog en une série de 8 articles très détaillés.
Lorsque j’ai mon idée bien en place, j’effectue les recherches dont j’ai besoin. Ensuite, je construis le scénario, les ressorts dramatiques et leur enchaînement logique et cohérent, les personnages, tout, jusqu’à l’obtention d’un séquencier final ultra bordé. Je ne laisse rien au hasard et je n’écris pas une ligne tant que je n’ai pas ce séquencier. Cela a l’air terriblement contraignant, mais c’est en réalité un grand confort. En effet, au sein d’un cadre si rigoureux, je peux laisser libre cours à ma fantaisie en sachant toujours où je dois retomber et pourquoi. Et, en principe, j’évite l’angoisse de la page blanche puisque je sais quoi écrire. Je n’ai donc plus qu’à laisser filer l’écriture sans me préoccuper du reste.
Je me sens aussi à l’aise dans le « je » narratif que dans l’utilisation d’un narrateur omniscient. Ça dépend de ce que jeux faire et de la nécessité dictée par le contexte du roman. Dans des récits comme Le Repentir, Écran total ou Les Corps terrestres, nous sommes dans la tête, dans l’intimité des personnages principaux. Le « je » narratif s’impose donc. Dans des romans comme Arthus Bayard et Les Maîtres du temps ou Mauvais garçon, il est important, au contraire, d’avoir une vue d’ensemble de la situation, des personnages et de la trame. Je recours donc à un narrateur omniscient. Le « je » narratif est parfait pour décrire les états d’âme, les humeurs, la psychologie, les sentiments du personnage, à l’intérieur duquel on fait glisser le lecteur. Le « je » narratif permet, en quelque sorte, au lecteur, de devenir le personnage, l’acteur principal du livre. Avec un narrateur omniscient, le lecteur reste davantage observateur, spectateur de l’histoire qu’on lui raconte.

Je placerais Céline en tête, car il a révolutionné la littérature par son style incroyable. Je ne parle pas du personnage, mais de l’écrivain, nous sommes d’accord. L’écrivain Céline m’a scotché. D’une manière générale, j’admire les auteurs qui ont du style, leur style, unique, inimitable, qui fait qu’on les reconnaît dès les premiers mots. Je citerais donc sans réfléchir Houellebecq, Djian, Modiano (avec un bémol pour les deux derniers, concernant leurs dernières productions), et Bret Easton Ellis, Chuck Palahniuk, Jay McInerney, Raymond Carver, Henry Miller, Irvine Welsh, John King, Tennessee Williams. Probablement aussi Bukowski, dès que je m’y serais mis.
Ce qui rend un personnage crédible, c’est qu’il ne soit pas binaire, qu’il ait des qualités et des défauts. C’est-à-dire que même le « héros » doit avoir des défauts et des faiblesses, des failles. C’est ce qui le rend humain, donc comme tout le monde, donc crédible. Idem pour le « méchant ». Il doit avoir des bons côtés, on doit comprendre pourquoi il est méchant, on doit aussi éprouver de l’empathie pour lui. J’ai poussé cela à l’extrême dans Ma place au paradis, et cela m’a valu une volée de bois vert de la part de lecteurs qui m’ont reproché de leur avoir fait éprouver de la compassion pour un certain personnage qu’ils ont jugé ensuite comme le pire des monstres. Leurs réactions violentes m’ont prouvé que j’avais visé juste, qu’ils avaient tellement cru à ce personnage, qu’il était tellement incarné, pour eux, qu’ils ont oublié de se dire qu’on était dans une fiction. Dans une moindre mesure, le personnage de Fran provoque ce genre de réaction dans Les Corps terrestres. Et plus généralement, les lecteurs et les chroniqueurs trouvent mes personnages réels. C’est parce que je suis ancré dans la vraie vie, que je côtoie de vrais gens, que j’en suis un moi-même, et que ça se ressent forcément dans ce que j’écris. Je n’aime pas une certaine littérature germanopratine dans laquelle les personnages son éthérés, inconsistants, artificiellement tourmentés par des problèmes qu’ils se créent eux-mêmes, faute d’en avoir réellement. Ceux-là se situent aux antipodes des gens de la vraie vie et ils ne leur parlent donc pas, mais ils s’adressent exclusivement à un public de happy few.
Comprenons-nous bien, l’argent ou le niveau social des personnages n’a rien à voir là-dedans. Dans les livres de Bret Easton Ellis, les personnages sont plutôt riches et CSP+, mais ils nous touchent parce qu’ils sont profondément, pathétiquement ou lumineusement humains.
Autre élément fort de crédibilité d’un personnage : les dialogues, ce qu’on lui fait dire et de quelle manière. De mauvais dialogues peuvent tout flanquer par terre, histoire comme personnages.

Pour personne en particulier, pour qui veut bien me lire. En écrivant, j’obéis simplement à une double envie, je comble un double désir : effectuer le geste littéraire le plus beau possible et divertir les lecteurs. Quand j’emploie le verbe « divertir », c’est dans son sens le plus large. Divertir, c’est transporter, émouvoir, faire réagir et faire réfléchir. Mais jamais au détriment de l’écriture ni du style. Les auteurs que j’admire parviennent à divertir avec style. Je m’applique cette même rigueur, sans me comparer à eux pour autant, mais je m’attache à être à la fois un écrivain autant qu’un raconteur d’histoire – un storyteller, comme disent les Anglo-Saxons. L’exemple le plus frappant, sans doute, dans ce que j’ai écrit, c’est Arthus Bayard et Les Maîtres du temps. Il s’agit d’un roman très grand public, d’aventures, dans lequel, pour le coup, le divertissement ainsi que l’histoire occupent une place prépondérante. Eh bien j’en ai soigné l’écriture autant que pour mes romans plus « sérieux ».
Je ne sais pas s’ils me servent, mais ils me touchent tous, les bons comme les mauvais, sauf ceux non argumentés ou de mauvaise foi. J’en ai eu un, une fois, pour Arthus Bayard. Il était rédigé par une chroniqueuse qui n’avait manifestement pas lu le livre, car elle y parlait de choses qui ne s’y trouvaient pas. Elle a courageusement signé son article par un pseudonyme, et j’ignore donc qui elle est, mais son papier n’avait d’autre but que de nuire pour nuire. Le problème est qu’il figure sur un site qui est quand même une référence pour la littérature noire et que c’est embêtant si des lecteurs croient cette dame. Je trouve une telle attitude anti-professionnelle au possible et ce genre de chroniqueur ne devrait pas avoir sa place dans des journaux ou des sites on-line sérieux. Ces chroniques-là m’agacent, mais ça ne va pas plus loin. Les avis négatifs et argumentés, eux, me chagrinent franchement, car ils signifient que les lecteurs n’ont pas aimé le livre, sur lequel ils n’avaient aucun a priori négatif. C’est juste moi qui n’ai pas réussi à les toucher comme je l’aurais souhaité, donc, oui, ça me peine. Je n’aime pas décevoir. Et quand je reçois des avis positifs, ça me galvanise et me donne une énergie folle pour poursuivre.


Je ne demande l’avis de personne quand j’ai un projet. Les projets auxquels je tiens, je les mène à terme sur ma seule décision. En revanche, j’ai une première lectrice, oui, auprès de laquelle je teste même en amont la solidité et la cohérence de mon histoire, mes personnages, etc. Je discute avec elle de l’élaboration de mon plan, et ça me fait souvent rebondir sur des choses auxquelles je n’avais pas initialement pensé, ça m’ouvre des pistes nouvelles. Et quand le séquencier est bouclé et validé, je commence à écrire et je lui fais lire chapitre par chapitre.

Je m’impose un calendrier, par nécessité, quand je réponds à une commande. C’est-à-dire quand mon synopsis est validé en amont par l’éditeur et qu’il me propose un contrat pour écrire cette histoire-là. Pour son planning, il a besoin d’une date de remise du manuscrit, car ensuite, il faut prévoir le retravail éventuel, les corrections, la mise en page, l’élaboration de la couverture, la fabrication, la production, l’envoi des services de presse. C’est toute une chaîne dont le premier maillon est la réception du manuscrit, c’est l’élément qui donne le go de tout le processus. Alors il faut respecter au mieux la deadline fixée. Dans ces cas-là, je divise simplement le nombre de jours qui me sépare de l’échéance par le nombre de signes convenu du manuscrit, et ça me donne le nombre de signes à écrire par jour. D’un côté, c’est confortable, car on est certain que le livre sera publié. D’un autre côté, l’échéance qui se rapproche de jour en jour peut constituer une pression, un stress, qui freine la productivité.
Quand je n’écris pas sur commande, je peux me dire que j’ai tout le temps devant moi. Mais d’une part je n’ai aucune garantie que le texte sera accepté par un éditeur, et d’autre part ça peut être un prétexte pour écrire en dilettante et donc ne jamais achever l’écriture. Si bien que, même quand je ne réponds pas à une commande, je m’impose au moins d’écrire deux ou trois pages par jour. Mais deux ou trois pages publiables. J’écris le matin, laisse reposer la journée et corrige le soir. Ainsi, je n’ai presque plus à y revenir, et quand le texte est fini il y a en général peu de retravail dessus.
De rien. Vraiment, je suis un ascète en la matière. Décor minimaliste. Il faut dire que j’ai la chance d’écrire perché dans les arbres, à 10 mètres du sol. Mon bureau est situé au plus haut de la maison et possède en façade un grand mur rideau – 20 m2 de surface vitrée – qui me permettent de contempler l’horizon, la verdure, les chats, les oiseaux, les écureuils, les hérissons et… les tours d’habitation. J’adore ce contraste à la fois campagnard et citadin. Je n’ai besoin de rien d’autre. Seuls mes deux chats viennent dormir sur mon bureaux ou sur mes genoux, et c’est tout. Dans ces moments-là, je suis aux anges, car si mes chats viennent avec moi, c’est que ce que j’écris est potable. On se raccroche à ce qu’on peut…
J’écris exclusivement sur ordinateur, écran géant, et grand bureau de verre. Plus précisément, grand plateau de verre posé sur deux tréteaux. Là encore, je privilégie l’épure. L’ordinateur et le traitement de texte me font gagner un temps précieux et m’offrent des fonctionnalités que ne m’offrent pas le papier et le stylo. Par exemple, je peux déplacer des blocs entiers de texte d’un simple click. Et je corrige aussi directement sur écran. Quelle propreté et quelle lisibilité sur ma copie ! je me souviens de mes premiers romans écrits à la main, sur des cahiers à spirale. Les crampes aux doigts et la galère pour me relire et comprendre toutes mes corrections. Par ailleurs, avec l’ordinateur, on peut sauvegarder toutes les versions et revenir piocher dedans si l’on en a finalement besoin. Et puis on envoie ce qu’on vient d’écrire par mail à son lecteur privilégié ou son éditeur, pour un retour immédiat.
Je suis encore avec elles, tout en ayant également publié en indé. Il est difficile de répondre à cette question sans donner l’impression de cracher dans la soupe. Surtout qu’à présent, en plus d’être auteur, je suis directeur éditorial chez La Bourdonnaye. Je comprends donc mieux à quelles difficultés, obligations et contraintes sont soumises les maisons d’édition dites traditionnelles, en termes de rentabilité. Tout d’abord, il faut avouer qu’il est flatteur et encourageant pour un auteur d’être publié par un éditeur, c’est tout de même la reconnaissance de son travail par un professionnel. Ensuite, dans l’esprit des lecteurs, libraires et journalistes, français en tout cas, et pour l’instant encore, un véritable auteur est celui qui est publié chez un éditeur. Enfin, un éditeur verse à l’auteur des à-valoir, ce qui est toujours appréciable. Pour ma part, j’ai toujours été bien traité à ce niveau-là. Mais ensuite, il faut bien admettre que c’est à peu près tout ce qui se passe. Et que c’est dommage d’avoir dépensé autant d’argent dans les à-valoir, le graphiste, le correcteur, pour s’arrêter là. Car c’est hélas ce qui se passe. L’éditeur ne mettra pas un centime dans la communication d’un auteur méconnu. Trop risqué, trop d’investissement pour trop peu– voire pas du tout – de retour. Mais alors pourquoi avoir fait la moitié du chemin ? Ça aussi c’est de l’argent perdu. Un livre qui ne bénéficie d’aucune promo, donc d’aucune visibilité, ne se vendra pas. Et l’auteur restera méconnu. La seule promo, pour lui, c’est l’attaché de presse qui envoie les sp aux journalistes et qui espère miraculeusement que l’un deux sorte un papier sur le livre. Mais ça ne se passe jamais. Du coup, l’auteur qui n’a pas vendu aura fort peu de chances de refaire un livre dans la maison d’édition qui estimera avoir perdu de l’argent avec lui. Le mythe de l’éditeur qui accompagne l’auteur tout au long de sa vie d’écrivain et qui lui laisse le temps de s’installer n’est… qu’un mythe. Ça n’existe pas. On est dans l’instant cash, pas dans le long terme. On est dans la peoplisation des auteurs et la best-sellerisation des livres. Avec les résultats dramatiques que l’on observe sur la littérature et l’édition françaises. Je crois que des maisons comme La Bourdonnaye apportent une solution intéressante. C’est pourquoi j’ai rejoint cette maison dans laquelle je m’engage avec toute mon énergie. Je ne vais pas entrer dans le détail ici, car ce n’est peut-être pas le sujet, mais je reste convaincu que notre modèle économique et notre politique auteurs sont les bons.

Justement, un nouveau roman pour un éditeur dit traditionnel, Marabout (groupe Hachette), chez qui j’ai déjà publié Le Repentir. Je suis ravi de repartir sur un nouveau projet avec eux, car l’équipe est sympa et motivée. Et leur collection Marabooks mérite qu’on s’y intéresse.
Je n’ose plus rien ajouter, tant j’ai l’impression d’avoir été très bavard. C’était vraiment un super bla bla, que j’espère instructif pour les lecteurs.
Merci à vous tous, surtout. J’espère avoir l’occasion d’échanger avec vous sur les réseaux.
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